Lors d’une formation sur les usages numériques, une bibliothécaire me pose cette question : « Est-ce qu’on fait vraiment un geste pour la planète quand on passe au livre numérique ? » La question est directe, et la réponse ne l’est pas moins : cela dépend. Car derrière l’apparente immatérialité des fichiers, le numérique a bien un coût écologique — souvent méconnu.
Le numérique : une fausse solution verte ?
Une pollution invisible mais bien réelle
Serveurs, terminaux de lecture, stockage en ligne, réseaux… Chaque maillon de la chaîne numérique consomme de l’énergie et mobilise des ressources rares. Selon l’ADEME, le numérique représenterait déjà près de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Et ce chiffre est en constante augmentation.
Lire en ligne ou télécharger un ebook n’est donc pas sans conséquence. L’impact dépend de plusieurs facteurs : le nombre de lectures, la durée d’utilisation du terminal, la fréquence de renouvellement des équipements… Ce sont des éléments que nous abordons de plus en plus dans les formations ACANT, notamment pour aider les bibliothèques à prendre des décisions éclairées.
L’illusion du “0 déchet”
Contrairement au livre imprimé, le fichier numérique ne prend pas de place sur une étagère… mais il nécessite des infrastructures lourdes, dont le coût environnemental est souvent externalisé (centres de données à l’étranger, usage massif d’électricité, obsolescence programmée des liseuses).
Vers une lecture numérique plus responsable
Allonger la durée de vie des équipements
C’est un levier prioritaire. Entretenir les liseuses, limiter les renouvellements de tablettes, favoriser le reconditionné : autant de gestes concrets. En bibliothèque, cela suppose une politique claire de maintenance et de gestion des équipements, mais aussi une sensibilisation des usagers.
Adapter l’offre aux usages
Plutôt que de proposer une large offre de lecture numérique par principe, il est utile d’interroger les usages réels : Qui lit en numérique ? Pour quels types de documents ? À quelle fréquence ? Ce questionnement permet d’ajuster l’offre et d’éviter les dépenses inutiles en énergie, en bande passante et en matériel.
Choisir des fournisseurs responsables
De plus en plus de prestataires numériques s’engagent dans une démarche de sobriété (hébergements verts, éco-conception des plateformes, transparence sur les flux de données). Dans les marchés publics ou les renouvellements de marché, ces critères peuvent désormais être intégrés. C’est un levier souvent méconnu des bibliothèques, et pourtant puissant.
Former les équipes et les usagers à l’impact du numérique
Intégrer la sobriété numérique dans les formations
Chez ACANT, nous proposons désormais des modules spécifiques sur la transition numérique responsable. Objectif : donner aux professionnels les clés pour concilier innovation, accessibilité et durabilité. Car réduire l’empreinte environnementale du numérique passe aussi par la montée en compétence des équipes.
Sensibiliser les publics
La bibliothèque peut aussi jouer un rôle éducatif : informer sur l’impact écologique du streaming, valoriser la lecture hors ligne, inciter à la modération dans les usages. Ce sont des messages que les usagers accueillent avec intérêt, surtout s’ils sont transmis de manière concrète, sans culpabilisation.
Conclusion : Penser le numérique autrement
Le numérique n’est ni vert par essence, ni à rejeter en bloc. C’est un outil. Il peut servir la médiation, l’inclusion, l’accès à la lecture — à condition d’être utilisé avec discernement. Pour les bibliothèques, l’enjeu est de construire une stratégie numérique durable, alignée avec leurs valeurs et leur responsabilité environnementale.